Entre mémoire et oubli, avec la lusophone Djaimilia Pereira de Almeida
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Un ancien trafiquant d’esclaves, un immigré angolais qui a combattu du côté des Portugais durant la guerre coloniale, un esclave brésilien sont les protagonistes du recueil de nouvelles signé Djaimilia Pereira de Almeida. Trois histoires d’oubli est le premier ouvrage traduit en français de cette auteure lusophone, d’origine angolaise. Djamilia de Almeida écrit pour faire remonter à la surface le refoulé colonial fait de brutalités innombrables, de répressions, de moult humiliations et de souffrances. S’inspirant du chef-d’œuvre flaubertien des Trois contes, la romancière livre à son tour un triptyque somptueux et réaliste sur le poids du passé de domination dans une société postcoloniale. Entretien.
Vos protagonistes ont pour noms Célestino, Boa Morte, Brume. Vieillissants et solitaires, que veulent-ils oublier ?
L’oubli, ce mot qui apparaît dès le titre de mon livre, ne signifie pas fuir sa responsabilité. Ce n’est pas une démarche passive, mais au contraire une démarche active pour continuer d’aller de l’avant. Je ne crois pas qu’oublier soit une faiblesse, c’est plutôt une force car l’acte d’oubli implique reprendre en charge son passé, faisant le tri entre ce que l’on veut garder en mémoire et ce que l’on veut rejeter. En fin de compte, oublier est un acte de responsabilisation, qui nous rend libre.
Que racontent les trois nouvelles ?
Comment on survit à la souffrance, c’est le thème de ce livre. Je voulais raconter comment on vit avec les souvenirs de la répression coloniale et comment on se reconstruit ensuite. Mes récits se situent dans le temps postcolonial, dans l’après-empire, avec des protagonistes libérés du joug colonial. Mais il me semble que ma génération se détermine autant par sa postcolonialité que par sa conscience d’être dans une sorte de l’entre-deux. Nous sommes Africains, mais nous ne sommes pas que Africains. Mes récits découlent de cette position identitaire éminemment instable.
Identité, colonisation, sont des thèmes éminemment politiques. Vous vous définissez comme une écrivaine politique ?
On peut dire que j’écris une œuvre politique, mais ma démarche est toujours littéraire, voire artistique. J’attache une très grande importance à l’économie des mots, du verbe et de la phrase. Pour moi, la littérature est un lieu où le politique et l’artistique sont étroitement liées. L’intention politique de l’auteur est portée par le style et le langage.
Vos personnages tentent de se libérer des fantômes de leur passé, qui en prenant soin de ses œillets, qui en élevant une cabane de bric et de broc en pleine forêt, qui en s’investissant dans l’écrit devenu sa ligne de vie...
Mon livre Trois histoires d’oubli est probablement mon œuvre la plus autobiographique, dans la mesure où je me reconnais dans les émotions, les sentiments qu’éprouvent mes personnages. Je partage leur vision du monde. Quand l’un des leurs déclare que c’est quand il écrit qu’il est en vie, ce n’est pas une figure de style, ni une exagération. Moi aussi, je crois que je mourrai si je ne pouvais pas écrire. Écrire, c’est ma manière d’inscrire mon existence sur le corps du monde.
Comment est née votre passion pour la langue et l’écriture ?
Les mots ont toujours exercé une grande fascination sur moi, et cela dès ma plus petite enfance. Je suis née en Angola au début des années 1980. Quand j’avais trois ans, je suis partie vivre avec ma famille au Portugal. Je suis ensuite allée à l’université où je me suis inscrite en littérature, avec l’ambition de devenir écrivain un jour. Or, accaparée par les études, j’ai perdu de vue mon ambition, avant de finalement m’y mettre. Mon premier roman est paru en 2015. J’ai écrit ensuite plusieurs autres livres, mais Trois histoires d’oubli est mon premier livre traduit en français.
Il y a quelque chose de flaubertien dans ce livre. Vos lecteurs francophones ne manqueront pas de faire le lien.
Flaubert me fascine. J’aime particulièrement ses Trois contes. C’est peut-être le livre qui compte le plus pour moi en littérature mondiale. Dans ses pages, j’ai tout appris sur l’écriture. Je me souviens d’avoir lu et relu les contes, de les avoir décortiqués phrase après phrase. C’est en hommage à Flaubert que j’ai écrit mon livre Trois histoires d’oubli, qui comme titre l’indique est composé de trois textes. Mais il serait vain de rechercher des ressemblances entre les personnages des deux livres ou entre les intrigues. La seule ressemblance qui vaille est stylistique.
Trois histoires d'oubli, par Djaimilia Pereira de Almeida. Traduit du portugais par Dominique Nédellec.. Editions Viviane Hamy, 362 pages, 23 euros.