«Carrousel eurasiatique»: comment les sanctions internationales font tourner le commerce au Kazakhstan
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Le Kazakhstan viole-t-il les sanctions occidentales imposées à la Russie depuis la guerre en Ukraine ? Le gouvernement, officiellement neutre dans ce conflit, le dément. Mais comment expliquer que le commerce entre la plus grande économie d’Asie centrale et son alliée historique russe est en plein essor ? Que des lave-linges, des imprimantes ou des drones continuent de passer par la frontière longue de plus de 7 000 kilomètres ? À Almaty, la capitale économique du Kazakhstan, des entrepreneurs en témoignent.
De notre envoyée spéciale à Almaty,
Assis dans le jardin d’un hôtel international, Askar tripote un mouchoir dans sa main. Il est nerveux. Trentenaire en t-shirt et baskets, ce patron d’un fonds d’investissement ne s’appelle pas vraiment Askar. Mais ce n’est qu’à condition de rester anonyme que ce jeune entrepreneur est prêt à se confier à RFI :« Le gouvernement essaie de respecter les sanctions, mais pour nous, entrepreneurs, les affaires sont les affaires. Bien sûr qu’il existe des importations parallèles. Il y a notamment une grande demande de nos voisins russes pour des marchandises à double utilisation. On retire certaines pièces pour les réutiliser ensuite dans le secteur militaire. »
Un exemple : depuis la guerre en Ukraine, le Kazakhstan a multiplié par quatre ses importations de lave-linges depuis l’Union européenne. Bruxelles soupçonne la Russie d’en extraire les précieux semi-conducteurs, sous embargo, pour réparer par exemple ses chars.
Des lave-linges pour la guerre de Poutine ?Des lave-linges pour la guerre de Poutine ? « Personnellement, je n’ai jamais entendu parler de lave-linges, mais c’est vrai, le transport de produits pouvant servir pour la guerre a nettement augmenté », nous explique la responsable d’une entreprise de transport international d’Almaty, qui préfère, elle aussi, rester anonyme. « Des sacs de couchage, des vêtements militaires, tout cela vient directement de Chine. Je le reconnais : trop de nos concurrents ferment les yeux et transportent des produits interdits. Mais nous, non, on préfère rester honnêtes. »
La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) parle d’un véritable « carrousel eurasiatique » : en 2022, les exportations vers le Kazakhstan depuis l’Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni ont augmenté de 80%. Pendant cette même période, celles du Kazakhstan vers la Russie ont augmenté de 22%.
Récemment encore, les douanes ont intercepté des drones destinés à la Russie, affirme le politologue Dosym Satpayev : « Il n’y a pas de doute : la Russie utilise le Kazakhstan comme pays de transit pour ses importations grises. L’an dernier, au 1ᵉʳ septembre, 15 000 nouvelles sociétés russes s’étaient déjà implantées chez nous. Quand on l’a découvert, le gouvernement a rétorqué qu’il respectait les sanctions. Mais comment contrôler 7 000 km de frontière commune ? Il n’y a pas que les Russes qui en profitent, des Kazakhstanais aussi ! C’est lorsque les Américains et les Ukrainiens ont évoqué des sanctions secondaires que le Kazakhstan a enfin commencé à renforcer ses contrôles. »
« Nous sommes devenus un pont entre la Russie et le monde occidental »Depuis, un système de traçage a été établi, mais il reste des trous dans la raquette. D’autant que l’élite au pouvoir est connue pour être notoirement corrompue. Comme beaucoup d’autres, le jeune entrepreneur Askar sait en tirer bénéfice : « Je ne vous cache pas que notre fonds d’investissement a gagné beaucoup d’argent. De nombreux Russes qui se trouvent sur la liste des personnes sanctionnées et qui veulent acheter des actions d’entreprises cotées en Bourse passent par nous. Comme nous ne figurons pas sur la liste, nous achetons les titres pour eux. Nous sommes devenus un véritable pont entre la Russie et le monde occidental. »
Des hommes d’affaires kazakhstanais aident leurs ex-frères russes à contourner les sanctions, sous les yeux de Bruxelles et de Washington qui n’osent pas sanctionner durement les pays d’Asie centrale, par crainte de les pousser encore plus dans les bras de Moscou.