Tchad: «Nous sommes des candidats à la mort», dit l'opposant Max Kemkoye
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Les réactions politiques s’enchainent après la mort de l'opposant Yaya Dillo, tué le 28 février lors de l’assaut donné par l’armée contre le siège de son parti. Le porte-parole du gouvernement a affirmé ce vendredi sur RFI que ce sont les hommes de Yaya Dillo qui ont ouvert le feu et contraint à la riposte. Il assure que s’il s’était rendu, la situation n’aurait pas dégénéré. Les soutiens de l’opposant dénoncent un assassinat. La version officielle ne satisfait pas non plus Max Kemkoye, du groupe de concertation des acteurs politiques, une plateforme d’opposition radicale à la transition, politiquement proche de celle de Yaya Dillo.
RFI : Yaya Dillo et vous, vous étiez des opposants résolus à la transition depuis le début, comment est-ce que vous avez pris ces événements tragiques de la semaine ?
Max Kemkoye : J'ai été atterré, profondément bouleversé. On s'est vus avec Yaya deux jours avant. On s'est appelé 24 heures avant. Au petit matin, j'ai appelé sur ses deux numéros privés. Ça ne sonnait plus, je m'en suis inquiété. Les amis et quelques partenaires qui m'ont approché pour en savoir plus, je leur ai dit ‘moi non plus je n'ai pas la position de Yaya, je ne sais pas s’il est mort ou vivant cette nuit-là’. Quand quelqu'un m'a appelé pour me donner la confirmation de la mort de Yaya, je n’en suis pas revenu, je m'en suis difficilement remis et ça continue encore. Mais, pourquoi je suis réconforté ? Simplement parce qu’il faut honorer la mémoire d'un grand camarade de lutte, comme Yaya Dillo.
Selon les autorités, ce sont les forces de défense et de sécurité qui ont répondu à des tirs venant des gens du PSF. Qu'est-ce que vous pensez de cette version ?
Le gouvernement et les autorités judiciaires se sont lancés dans un narratif, mais c'est un vernis qui cherche à donner un habillage à un gros mensonge. Tous les Tchadiens le savent, y compris les éléments des forces de défense et de sécurité le savent. Nous exigeons d'abord des clarifications, mais des clarifications nettes. Ce sont des narratifs bidons du ministre de la Communication, du procureur de la République qui ne convainc personne. Nous exigeons du Premier ministre ce texte opposant qui a permis que tout ça arrive, qu'il vienne nous donner des explications claires, c'est à lui, le chef du gouvernement et le président de transition. Ils doivent nous donner des clarifications nettes. Ensuite, nous exigeons une enquête indépendante. Mais cette enquête indépendante, ce ne sera pas une enquête locale qui a été toujours biaisée et enterrée, comme des précédentes enquêtes. Et c'est là-dessus que nous attendons les partenaires et amis du Tchad. C'est là-dessus que nous attendons les Nations unies. C'est là-dessus que nous attendons l'Union africaine. Sans quoi nous n'allons pas accepter.
Le ministre dit que si Yaya Dillo s'était rendu, la situation ne serait pas arrivée à une telle extrémité.
Totalement faux. Est-ce que Yaya Dillo a reçu régulièrement une convocation venant du procureur de la République ? Non. Première, deuxième, troisième convocation, comme se veut la procédure et qu'à l'issue, si Yaya refuse d'obtempérer, le procureur de la République a la possibilité – avec les officiers de la police judiciaire, la gendarmerie et la police – d'interpeller ou de prendre Yaya Dillo pour l'astreindre à une contrainte par corps et de l'amener, puisque Yaya Dillo est un civil, il n'est pas militaire. Mais pourquoi procéder par une interpellation d'un civil avec une présence fortement armée, essentiellement des militaires, pour donner l'assaut, pour la reddition d'un civil, en tout cas d'un acteur politique ?
Craignez-vous que cette situation amène des difficultés pour le Tchad, crée des tensions alors qu'on approche des élections ?
La tension aujourd'hui, elle est pour nous qui continuons à parler. Mais nous sommes des candidats à la mort. La tension, elle est déjà là, les troubles sont déjà là. Le cocktail explosif, il est réuni mais ce que nous regrettons, c'est le facilitateur Felix Tshisekedi, qui s'est fendu dans un communiqué incompréhensible qui se permet de décrire une situation dont il n'a même pas les éléments d'appréciation. Pourquoi est-il allé si vite en besogne ? Mais ce n'était pas le cas, puisqu'il est l'appui inconditionnel de la junte au pouvoir. Il en fait usage pour produire son communiqué. Mais pour le reste, les Nations unies sont interpellées et avec en tête, les États-Unis qui apportent leur soutien inconditionnel à cette junte aujourd'hui qui tue les acteurs politiques, cette junte qui a tué déjà 300 jeunes Tchadiens qui sont sortis pour exercer leurs droits et dont on a accordé l'impunité, c'est à dire la licence de tirer pour tuer. Et nous pensons que les États-Unis d'Amérique, la France et au-delà l'ensemble de la communauté internationale incarnée par les Nations unies, ils ont la clé des solutions du problème du Tchad. S’ils en font usage, ils peuvent ouvrir les portes d'une accalmie, d'une stabilité pour avoir un processus conclusif et serein.
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