Bruno Lemarquis (ONU): «Ce plan de réponse humanitaire vise à apporter assistance à 8.7 millions de personnes» en RDC
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En RDC, les combats (entre l'armée congolaise et le M23 que le Rwanda est accusé de soutenir) font rage depuis le début de ce mois de février autour de Saké, à une vingtaine de km seulement de Goma, provoquant un nouvel afflux de déplacés vers les sites déjà surpeuplés de la capitale du Nord Kivu. Un plan de réponse humanitaire pour 2024 a été lancé la semaine dernière. Les besoins de financement sont immenses : 2,6 milliards de dollars. Notre invité ce matin est Bruno Lemarquis, représentant spécial-adjoint du secrétaire général de l’ONU en RDC et coordonnateur de l’action humanitaire.
RFI : Bruno Lemarquis, comment qualifiez-vous la situation humanitaire dans l'Est de la RDC, notamment dans le Nord-Kivu ?
Bruno Lemarquis : On peut la qualifier de dramatique. Il y a eu une aggravation de la situation sécuritaire en 2023, début 2024. Et forcément, ça entraîne une aggravation de la situation humanitaire qui est déjà, elle-même, une des plus graves, une des plus sérieuses au monde, une des plus complexes et elle est une des plus négligées au monde. Il y a un 1,2 million de personnes qui ont été déplacées au Nord-Kivu du fait de cette crise du M23, depuis la résurgence de ce mouvement en 2022.
Un million de personnes.
C’est 1,2 million avec une seule crise, juste avec cette crise. Au total, en RDC, il y a 6,7 millions de personnes qui sont déplacées internes. C'est absolument gigantesque et je vais vous donner d'autres chiffres, qui sont encore plus effrayants. Pour la province de l’Ituri, 40% de la population de la province de l’Ituri est déplacée interne. Et pour la province du Nord-Kivu, 28% de la population est déplacée interne. Donc ce sont des chiffres qui sont vraiment hors de proportion.
On parle peu des violences sexuelles, combien de cas ont été signalés en 2023 ?
Alors en 2023, les cas qui ont été rapportés, mais c'est certainement la pointe de l'iceberg, c'est 110.000 cas de violences sexuelles, violences basées sur le genre, notamment à l'Est et notamment dans les sites de déplacés autour de Goma. 500.000 personnes sont autour de la ville de Goma sur un espace géographique très réduit, dans des conditions de promiscuité vraiment très mauvaises. Il y a énormément de problèmes pour fournir l'aide humanitaire, il y a énormément de défis à ce niveau-là. Et donc dans ces sites-là, en particulier, il y a eu une augmentation exponentielle des cas de violences sexuelles.
Face à tous ces drames, vous avez lancé la semaine dernière un appel à la mobilisation de 2,6 milliards de dollars. Pour faire quoi ? Pour sauver combien de personnes ?
Il y a 25 millions de personnes, un peu moins d'un Congolais ou d’une Congolaise sur 4, qui sont en situation d'insécurité alimentaire. C'est le chiffre le plus grand au monde. Ensuite, il y a des personnes qui ont des vulnérabilités multiples et donc ce plan de réponse humanitaire vise à apporter une assistance d'urgence à 8,7 millions de personnes, ce qu'on appelle les personnes ciblées.
Ça veut dire que la survie de presque 9 millions de personnes dépend aujourd'hui de cette aide humanitaire ?
Voilà, tout à fait.
Mais l'an dernier, votre appel de fonds n'a été financé qu'à hauteur de 40%, comment l'expliquez-vous ? La lassitude ? L'indifférence ?
C'est une crise qui dure depuis trente ans avec les mêmes causes. Une des causes principales, c'est l'exploitation des ressources naturelles, c'est le manque de solutions politiques, etc. Donc oui, il y a une crise qui dure depuis 30 ans, c'est la crise humanitaire la plus prolongée au monde. Donc forcément, il y a un peu de lassitude. C'est un mélange de lassitude et aussi de la pression sur les ressources. Et ça s'explique notamment par la multiplication, la multiplicité, des crises dans le monde entier, notamment des crises qui ont beaucoup plus d'attention au niveau géopolitique, au niveau médiatique, au niveau politique, telles que la crise en Ukraine, la crise au Moyen-Orient. Donc il y a vraiment une pression sur les ressources. En RDC, on parle de montants considérables, donc le fait qu'on ait été financé à 40% en 2023, ça veut tout de même dire que près d'un milliard de dollars a été octroyé par les bailleurs de fonds et ils font énormément d'efforts ici. Mais il y a une grosse pression sur les ressources et les besoins sont bien trop élevés.
Donc on fait constamment un plaidoyer pour augmenter ce taux de réponse. 40%, ça veut dire qu’on est obligés de faire des choix. C'est très difficile de faire ces choix – Où est-ce qu'on alloue les ressources ? À quelle province ? À quelle communauté ? Pour quelle crise ? – tellement il y a de besoins. Moi, je visite de manière assez régulière ces sites de déplacés. Les gens sont fatigués, fatigués, fatigués. Ils veulent la paix, ils veulent la sécurité, ils veulent rentrer chez eux, ils veulent travailler leur terre, les enfants veulent aller à l'école, les adolescents parlent beaucoup de formations professionnelles, ils veulent apprendre des métiers, ils veulent avoir une autre alternative que de rejoindre des groupes armés pour gagner leur vie.
Et c'est dans ce contexte de montée des tensions que la Monusco va se désengager. Comment vivez-vous les récentes manifestations anti-occidentales ?
Ces récentes manifestations n'ont pas visé que des chancelleries occidentales, elles ont visé au-delà et ont également touché les Nations unies. C'est un peu une exaspération de ce qui se passe à l'Est qui a entraîné ces mouvements. Le gouvernement a depuis pris des mesures assez fortes pour que la situation soit apaisée à Kinshasa.