Elisabeth Dikizeko: «Lumumba fait partie des figures qui s’inscrivent dans le panthéon panafricain»

Elisabeth Dikizeko: «Lumumba fait partie des figures qui s’inscrivent dans le panthéon panafricain»

RFI
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Comment Patrice Lumumba, le Premier ministre congolais assassiné en 1961, est-il devenu l'icône internationale qu'il est aujourd'hui ? Qui a contribué à construire ce prestige et cette aura ? La question traverse le dernier numéro de La revue d'histoire contemporaine de l'Afrique (RHCA), sous le titre « Global Lumumba ». L'une des coordonnatrices de ce numéro, Elisabeth Dikizeko, est notre invitée.

RFI : À quel point le nom de Patrice Lumumba reste-t-il important pour les jeunes générations, pas seulement congolaises mais également du reste du continent ?

Elisabeth Dikizeko : Je pense qu’au même titre que Kwame Nkrumah, le leader ghanéen, ou Thomas Sankara, le leader burkinabè, Lumumba fait partie de ces figures masculines qui s’inscrivent dans le panthéon panafricain. Il est loué, il est honoré, il est célébré pour son combat pour l’indépendance totale, pour l’intégrité territoriale, pour l’unité, et son assassinat a réellement constitué ce qu’on appelle un événement-monde, c’est-à-dire qu’on a observé des cris d’indignation et des manifestations partout dans le monde, que ce soit à Paris, à Pékin, à Harlem. Lumumba reste célébré sur l’ensemble du continent africain et c’est un phénomène que l’on observe à travers le rap, à travers la poésie. L’art est un matériau qui est extrêmement important, qui permet à la jeunesse de se souvenir de Patrice Lumumba et l’inscription du nom de Patrice Lumumba dans les mémoires du monde entier.

Dans ce numéro de La revue d’histoire contemporaine de l’Afrique, justement, vous revenez sur les origines de ce caractère international de la figure de Lumumba. Qu’est-ce qui fait, selon vous, que Lumumba a dépassé les frontières du Congo ?  

Lumumba représente le martyr d’une décolonisation confisquée et il y a eu plusieurs intermédiaires médiatiques, donc dans la presse, qui ont participé à l’iconicité de son nom. Dans le Ghana de Kwame Nkrumah, tout au long de l’année 1961, on parle de Lumumba, on s’intéresse à son assassinat, on publie les photos des responsables présumés de son assassinat. On sent réellement qu’il y a une surpolitisation de l’information au Ghana. On reste très concentrés sur la mort de Patrice Lumumba au Ghana.

En raison des bonnes relations qu’entretenaient Patrice Lumumba et le président du Ghana, Kwame Nkrumah ?

Oui, Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah étaient alliés sur la même politique panafricaniste. C’étaient deux pays alliés, ils avaient signé un accord militaire secret dès le mois d’août 1960, ce qui témoignait, justement, de cet alignement idéologique panafricaniste. Au Sénégal, il y avait également des cris d’indignation autour de la mort de Patrice Lumumba, mais le phénomène Lumumba ne va pas durer autant qu’au Ghana : dès la fin du mois de février 1961, dans la presse sénégalaise, on ne parle plus de Patrice Lumumba.

Elisabeth Dikizeko, quel rôle est-ce que les héritiers politiques de Lumumba ont eu dans la construction de cette figure internationale ?

On parle encore de Lumumba parce qu’il y a toujours eu des lumumbistes qui ont essayé de maintenir son nom, de maintenir son combat. Par exemple, l’Union des jeunesses révolutionnaires congolaises qui, dans le Zaïre de Mobutu, a permis la pérennité du nom de Patrice Lumumba, qui a maintenu le combat de Patrice Lumumba et qui a produit une universalisation de la lutte congolaise, qui a créé des alliances internationales dans le monde entier pour faire vivre le nom de Patrice Lumumba. Et ces lumumbistes-là ont gardé la flamme et les idées de Patrice Lumumba jusqu’à aujourd’hui. Il y a toujours eu des réseaux souterrains, des îlots de résistance, qui ont permis la pérennité du nom de Patrice Lumumba.

Un autre point sur lequel vous mettez la lumière dans ce numéro de La revue d’histoire contemporaine de l’Afrique, c’est le rôle d’un certain nombre de femmes – journalistes, militantes, poétesses – dans cette mise en place de l’icône de Patrice Lumumba. Quel a été ce rôle ?

Il est important de ne pas négliger le rôle des femmes dans l’histoire de l’anticolonialisme, dans l’histoire des indépendances, dans la lutte contre le néocolonialisme. Ces femmes ont apporté, elles ont participé, elles ont produit, également, des textes anticolonialistes et des textes de soutien à Patrice Lumumba. Par exemple, les billets d’opinion de Mabel Dove – Mabel Dove est une figure très importante au Ghana, c’est la première femme députée du Ghana et d’Afrique. Il y avait également la militante britannique Dorothy Padmore, qui était la partenaire de George Padmore, grande figure du panafricanisme, intellectuel trinidadien qui était aux côtés de Kwame Nkrumah. Edith Wuver est également une figure qu’on découvre dans ce numéro d’Histoire contemporaine de l’Afrique, Edith Wuver est la première reportrice de guerre ghanéenne qui est envoyée au Congo pour décrire le vécu des troupes ghanéennes. Et puis, on découvre également dans ce numéro qu’il y avait des femmes poétesses, artistes, telle qu’Elizabeth Spio-Garbrah, qui écrivaient sur Lumumba et sur ces assassinats politiques.

La revue d'histoire contemporaine de l'Afrique est disponible gratuitement en ligne.