Salvador: la politique sécuritaire de Nayib Bukele, succès ou menace?
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Avec une nouvelle baisse des homicides en 2023, selon les chiffres officiels, le Salvador se targue d’être le pays plus sûr d’Amérique latine (avec un taux de 2,4 homicides pour 100 000 habitants, il se situe juste derrière le Canada). Il est vrai que la criminalité s’est effondrée depuis l’arrivée au pouvoir du président Nayib Bukele qui a fait de la sécurité sa priorité. Le contraste est d’autant plus frappant que le Salvador était considéré comme le pays le plus dangereux du monde il y a encore cinq ans. Le pays était alors en proie aux lois des « maras », des gangs criminels qui pratiquaient l’extorsion et terrorisaient la population.
de notre correspondante régionale,
En 2022, la rupture d’un pacte entre l’État salvadorien et ces gangs projette le pays en état d’exception. La politique sécuritaire de Bukele prend alors une tournure beaucoup plus agressive et les forces armées (surtout les militaires) procèdent à des arrestations massives dans tout le pays. Officiellement, ce sont plus de 75 000 personnes – criminels supposés – qui sont emprisonnées dans des mégaprisons ultra-strictes. Mais la contrepartie de cette politique sécuritaire est la concentration des pouvoirs autour de la présidence. Pour les associations salvadoriennes de défense des droits de l’homme, celui qui se fait appeler le « dictateur le plus cool de la planète » est une menace pour la démocratie.
Au cœur de la capitale San Salvador, les locaux flânent et des enfants se rafraichissent à l’eau des fontaines. « Nous sommes 100 fois plus en sécurité qu’avant. » Renaldo Rivera vit ici, il est chauffeur privé. Comme pour beaucoup de Salvadoriens, la baisse de la criminalité a changé son quotidien. « Si tu marchais dans le centre de San Salvador, tu étais surveillé sans même t’en rendre compte. Et si jamais tu avais sur toi de l’argent ou bien un téléphone un peu moderne, tu te faisais agresser ou extorquer. Avec le plan de sécurité du gouvernement, il y a eu beaucoup de changements. Aujourd’hui, tu peux sortir ton mobile dans les transports en commun et rien ne va t’arriver », dit-il.
Le prix de ce changement est l’instauration d’un système répressif opéré très agressivement par les forces militaires. Officiellement, plus de 1 % du pays est en prison. Des captures parfois illégales à l’origine de nombreuses violations des droits de l’homme.
Ovidio Gonzalez est directeur de Tutela Legal, une association qui défend les cas de plus de 400 personnes emprisonnées abusivement. « Nous savons que dans les dossiers que nous portons, il s’agit de personnes innocentes. Nous en avons les preuves et il est impossible de dire que ces personnes appartiennent à un gang. Pour autant, l’État le soutient et cela restreint la liberté de la personne, en plus de tout ce que qu’il se passe dans les centres pénitenciers : il y a de la torture, explique-t-il. Cette politique de capturer les gens de manière indiscriminée ne fait que servir la campagne politique du président »
« La candidature du président n’aurait jamais dû être validée parce qu’elle est inconstitutionnelle »Nayib Bukele a été réélu à la présidence début février. « La candidature du président n’aurait jamais dû être validée parce qu’elle est inconstitutionnelle », nous explique Zaira Navas, avocate au sein de Cristosal, association de défense des droits humains. Comme toutes les associations de défense des droits de l’homme et la communauté internationale, qui dénoncent le démantèlement des institutions du pays, elle fait le constat du déclin de la démocratie au Salvador. « Nous avons vécu une transition rapide vers l’autoritarisme et depuis peu vers une dictature… dans la mesure où il n'y a plus d’équilibre ni de contre-pouvoirs : la justice n'est plus indépendante, il n’y a plus d’assemblée législative délibérative qui contrôle l’exécutif. Et l’exécutif contrôle tout ! »
Sous un régime d’exception depuis 2022, les garanties constitutionnelles sont suspendues à l’intérieur du pays et le gouvernement appuyé par l’armée exerce un important contrôle sur l’information.